PAS D’ALCOOL SUR LE CHEMIN DE L’ÉCOLE !

Un collectif d’associations dénonce l’incitation faites aux mineurs de consommer de l’alcool.

« C'est scientifiquement prouvé : plus un enfant est exposé à des publicités pour des marques d’alcool, plus il est susceptible de boire tôt et en quantité à l'adolescence. Alors, on #BalanceTaPub et on dit stop ! » tel est le message que Stéphanie a posté sur le réseau social X-Twitter. Le tweet de la jeune femme s’accompagne d’une photographie prise, explique-t-elle, devant le parc des sports de Rueil-Malmaison. On y voit un enfant d’une dizaine d’années attendant sagement son bus. La scène serait anodine s’il n’y avait la présence, à côté du petit, d’une immense affiche promouvant la marque de pastis Ricard. Le garçon a le visage tourné vers le panneau. Il semble fasciné par ce qu’il observe. Face à lui deux hommes grandeur nature, peut-être un père et son fils, très beaux, s’apprêtent à ouvrir une bouteille d’alcool dans une ambiance estivale. Les couleurs vives, jaune et bleu, attirent immanquablement le regard. Tout est fait, avec ce visuel, pour laisser entendre à l’enfant que les hommes, les vrais, boivent du Ricard, dans une complicité masculine intergénérationnelle.

S’il est impossible de savoir à quoi précisément pense l’enfant en observant la publicité, une chose est certaine : son cerveau enregistre l’émotion procurée par l’image, tout comme il enregistre le logo et le nom de la marque. Du haut de ses dix ans, ce petit garçon est en train de fabriquer ce que les scientifiques appellent un « stéréotype », c’est-à-dire une représentation mentale et un imaginaire à propos des boissons alcoolisées. Plus il est exposé à des publicités telles que celles-ci, plus il en vient à penser que l’alcool est un produit cool, banal et sans danger. Or, nous disent ces mêmes chercheurs, ce qu’un enfant de 10 ans pense à propos de l’alcool est prédictif de la consommation qu’il aura à l’adolescence et à l’âge adulte. On ne le dira jamais assez, mais le rapport d’un individu à l’alcool se construit dans l’enfance. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Organisation mondiale de la Santé presse les États d’encadrer strictement la publicité pour l’alcool, de façon à protéger les mineurs. Certains pays le font. Pas la France, qui refuse toujours d’interdire la publicité pour l’alcool devant les établissements scolaires.

Depuis quelque temps, les messages tels que celui de Stéphanie se multiplient sur les réseaux sociaux. Ils sont accompagnés du hashtag #BalanceTaPub. « Mention spéciale pour cette pub devant une école élémentaire et l’institut Pasteur. De quoi faire oublier que l'alcool est la deuxième cause évitable de cancer ? » interroge Arthur, qui a posté la photo d’une affiche promouvant la bière 1664 sur l’abribus de l’Institut Pasteur. D’autres internautes, comme Alice, Catherine, Yann, Sylvain et bien d’autres, dénoncent, géolocalisation à l’appui, la présence de publicités sur le chemin de l’école. Bière, vin, anisette, whisky, vodka, rhum… il y en a pour tous les (dé)goûts.

À l’origine de cette initiative se trouve un collectif d’associations ayant porté plainte, en juin 2024, contre la Régie autonome des transports parisiens (RATP) pour provocation directe à la consommation d’alcool à l’encontre des mineurs. « Nous, associations de santé, ne voulons plus voir couler à flots l’alcool sur le chemin de l’école, expliquent-elles. Entre la provocation à consommer et la prévention, nous choisissons la protection des mineurs ! » Ces associations ont en effet décidé de s’attaquer au grave problème de santé publique et de démocratie que posent ces publicités. Comment peut-on accepter que des industriels communiquent directement vers nos enfants pour promouvoir un produit qui tue deux jeunes de moins de 25 ans chaque jour en France ? L’alcool est la première cause d’accident et d’agression, y compris sexuelles, chez les adolescents. Tous les voyants sont dans le rouge, et que font les pouvoirs publics pour lutter contre cela ? Pas grand-chose, si l’on en croit la Cour des comptes. Les parents ont un rôle à jouer en prévention, bien entendu, mais il leur est difficile de lutter contre la banalisation du produit qui résulte de ce matraquage publicitaire. Sous sa forme initiale, la loi Évin interdisait aux marques d’alcool de faire de la publicité dans la rue. Le but était de protéger les mineurs et les personnes en difficulté avec l’alcool. Très vite, sous la pression des industriels du secteur, ce volet de la loi Évin a été amendé par les parlementaires. Les marques d’alcool ont ainsi obtenu le droit de faire de la publicité partout, y compris devant les écoles, les collèges, les lycées, et même aux abords des centres de soins pour les jeunes en difficulté avec l’alcool. Pour les communicants, la loi du marché commence en effet dans les cours d’école. Les marques cherchent à s’installer dans l’univers de nos enfants dès le plus jeune âge, car elles savent que chaque petit est un futur consommateur potentiel qu’il convient de conquérir, au risque de le voir partir vers la concurrence. Si les Français demandent dans leur grande majorité (plus de 80 %) l’interdiction de ces publicités, nos dirigeants, eux, ne semblent pas se préoccuper du sujet. C’est donc à nous, citoyens et associations, d’agir.

Si vous aussi trouvez cela insupportable, prenez votre appareil photo et rejoignez le mouvement sans attendre. La consigne est simple : la prochaine fois que vous verrez une publicité pour une marque d’alcool à proximité d’un établissement scolaire, photographiez-la et postez-la sur les réseaux accompagné du hashtag #BalanceTaPub. N’oubliez pas d’indiquer la ville et le nom de l’établissement scolaire. Vous pouvez également joindre un plan du quartier. Nous serons nombreux à relayer votre message. On compte sur vous pour que le chemin des écoliers ne soit pas celui des alcooliers !

Pour en savoir davantage :

Dans Sa première cuite, quatre idées-clés traitent spécifiquement du sujet, pour vous aider à bien comprendre les enjeux :

Idée-clé no 4. Les marques d’alcool ont des projets pour nos enfants : un décryptage des objectifs de marketing des industriels du secteur, incluant leur ciblage des jeunes femmes ;

Idée-clé no 10. La publicité pour l’alcool, omniprésente dans l’univers des mineurs : une synthèse des recherches scientifiques sur l’exposition des mineurs aux publicités pour l’alcool ;

Idée-clé no 23. Un marketing redoutablement efficace : l’état des connaissances sur l’impact de l’exposition dans l’enfance aux publicités ;

Idée-clé no 69. Apprenez-lui à décrypter les publicités : un mini-guide pour vous aider à apprendre à votre enfant ou ado à décrypter les publicités pour l’alcool, pour ne plus être manipulé(e).

D’autres lectures indispensables :

Le dossier complet, intitulé Pas d’alcool sur le chemin de l’école, préparé par France Assos Santé et ses partenaires, détaille les enjeux autour de la plainte. Le kit comprend des données-clés et des analyses d’experts. Il s’accompagne d’une série de vidéos de décryptage réunies sur la chaîne YouTube de l’association.

Alcool : Santé, prévention, marketing et lobbying. Un ouvrage collectif, dirigé par Bernard Basset et Karine Gallopel-Morvan, qui propose une synthèse de ce que chaque citoyen devrait savoir à propos du marketing et du lobbying des marques d’alcool.

 Un numéro spécial du magazine de la CAMERUP, Tous mobilisés face au business des addictions, qui invite à découvrir les méthodes déployées par les acteurs économiques pour entretenir les addictions et inciter les jeunes et les moins jeunes à consommer (téléchargeable gratuitement sur le site de la CAMERUP).

 Le livre Sacré descente. Comprendre l’alcoolisme. Comment tout est fait pour nous pousser à boire, écrit par un patient-expert addictions, qui explique de manière très concrète les mécanismes de l’addiction à l’alcool et dénonce les dérives commerciales du secteur des boissons alcoolisées.